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Chroniques au Val

Ligericus sum, nil Ligeris a me alienum puto.

Bou d'Loire

La folle aventure du pont Royal
Premier jour du Saumon

Le pont royal occupa nos esprits tout le matin. Il nous menaçait au loin, majestueux et puissant. Ne fut-il pas inauguré par Marie-Antoinette ? De quoi sans doute y perdre la tête et le sens de la mesure … Pour l'atteindre, un grand goulet où les flots se font pressants. Les moteurs sont au maximum de leur puissance et nous ne sommes pas encore dans la vague …

Soudain la barrière d'eau et de pierres. Un dénivelé de plus d'un mètre, un siphon provoqué par les piles et l'histoire. Un mur d'eau et de remous. La Loire s'y engouffre, attirée inexorablement par l'appel du large, sa fuite éperdue vers l'Océan. Elle gronde, elle roule, elle s'obscurcit. C'est une vague tourmentée, l'œil d'un cyclone dans une tornade d'eau ! La Loire est grise, elle est fâchée, elle s'emporte et veut nous emporter dans nos fétus de bois. Elle s'oppose comme elle l'a toujours fait à la volonté des hommes qui ne peuvent jamais lui dicter leur loi.

Les unes après les autres, nos embarcations viennent se casser les pales devant l'obstacle royal. Les moteurs halètent, la force vient à leur manquer. Les fûtreaux, à tour de rôle s'immobilisent au milieu du passage, prennent le travers, sont emportés par la colère de la dame. Miteux et vaincus, ils s'en retournent, chahutés, malmenés, débordés !

C'est la panique à nos bords. Chacun veut s'ensauver, trouver une sortie, une pause dans cette folie d'eau et de remous. La vague victorieuse a gagné la première partie. Les mariniers ont perdu toute modération, tout sens de la pondération. Ils se sont lancés dans le désordre le plus complet à l'assaut du défi qui se présentait à eux. Sur l'eau, c'est la Bérézina, Trafalgar et le sabordage de la flotte de Toulon !

Les uns se percutent, d'autres s'éperonnent, certains se fracassent contre une pile ou sur la berge empierrée. Une piautre explose, une bordée s'esclaffe, une coque se déchire. Les bateaux sont dans un désordre de champ de bataille. Le pont se dresse majestueux, moqueur devant tant de faiblesse. Consternation dans la troupe marinière, débandée et piteuse. Les beaux saumons que voilà, vaincus par le premier barrage !

Pourtant deux ou trois bateaux aux moteurs plus puissants ont vaincu la bête, ce démon d'eau et de fureur. Ils se sont faufilés de l'autre côté du mur. Ils seront notre point d'appui, nos bons bergers pour ramener le troupeau à la raison et à la sagesse. Une corde, des bras et une bouée lancée au fil de l'eau seront notre planche de salut.

C'est la force des hommes qui remplira la mission, comme autrefois. La tradition c'est aussi le retour aux expédients d'hier. Les hommes s'arcboutent, les reins se tendent, les bras serrent la grosse corde de chanvre qui blesse et qui brûle. Il faut tirer les bateaux, un à un pour les sortir de cette impasse.

C'est dur, c'est un exercice d'une redoutable difficulté. Le souffle manque, les bras se tétanisent, les cœurs battent la chamade. Chaque bateau halé laisse les tireurs sans force, épuisé de ce défi à leur fleuve. Pourtant, du temps de notre marine, tous les jours, ceux à qui nous voulons rendre hommage s'offraient ce plaisir musculaire avec des bateaux chargés de marchandises.

Sur le pont, quelques badauds, d'abord hilares de nos piteux ronds dans l'eau se mettent à pousser avec nous. Chacun comprend la difficulté de la tâche, les appareils photos mitraillent la bataille des hommes contre la Loire. Les curieux sont plus nombreux, ils applaudissent à chaque franchissement victorieux. Ils ont compris eux aussi ce que devait être jadis la peine de nos mariniers d'alors.


Royalement sien.

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